Le but de ce site est de faire connaître l’abbaye cistercienne appelée « L'ABBAYE ROYALE DE N0TRE-DAME-DE-VALSAUVE » située dans le département du Gard sur la commune de Verfeuil.
Coordonées géographiques - Latitude : 44° 8' 32,1" ; décimale : 44,1422° Nord. - Longitude : 4° 26' 51,2" ; décimale : 4,4476° Est. - Altitude : 204 m (669 pieds)
VALSAUVE aujourd’hui
Avant l'arrivée des religieuses
X°/XI° Siècle - Emplacement de leurs habitations : Saint-Peyre, Valsauve.
Origine du nom de Valsauve
XII° Siècle - Donation faite par le roi de France Louis VI «le Gros». Année 1117.
Coexistence de religieux et de religieuses
XIII° Siècle
Disparition de la communauté religieuse d’hommes
Les donats.
Fondation du couvent des religieuses ; il suit la règle de Cîteaux.
Donation faite au couvent
Année 1205. Supérieure du Convent Rainalde et Marie de Toulouse.
Année 1267. Supérieure du Convent. Cécile
Année 1279. Supérieure du Convent. Françoise
L’église de Valsauve sous la gouvernance de Françoise
Année 1308 Supérieure du Convent. Marie-Firmine
XIV° siècle
Sa translation à Bagnols, au XIV° siècle
Année 1342 Abbesse du Convent. Marguerite de la Baume
Année 1375 Abbesse du Convent. Béatrix de Pierre ou de La Pierre
Année 1432 Abbesse du couvent. Ricarde de Gaujac.
XV° Siècle – Historique du couvent des Angustrines
Année 1459 Abbesse du Convent. Jeanne Maurel
Année ? Abbesse du Convent. Jeanne d’lle
Année 1485 Abbesse du Convent. Catherine Maurel
Le XVI° siècle
Année 1513 Abbesse du Convent. Jeanne de Montdragon
XVI° siècle Valsauve est incendié et une partie de ses propriétés est vendue
Année 1524 Abbesse du Convent.Anne de Montdragon.
Construction d'une chapelle à Verfeuil
Aux ruines matérielles succède la ruine morale
Année 1537 Abbesse du Convent. Marguerite d’Albert.
Année 1566 Abbesse du Convent. Anne d’Albert.
Le XVII° siècle
Année 1601 Abbesse du Convent. Jeanne d’Audibert de Lussan.
Année 1605 Abbesse du Convent. Esther d'Audibert de Lussan.
Au milieu du XVII° siècle, une nouvelle union fut sur le point de s'opérer.
Année 1672 Abbesse du Convent. Marie d’Audibert de Lussan.
Année 1703. Acte de décès des ouvriers massacrés à Valsauve, par les protestants.
Année 1715 Abbesse du Convent. Monique de Cognos de Clèmes
Etat des charges, dettes et revenus de l’abbaye
Année 1761 Abbesse du Convent. N. Dupuy de Montbrun
Vie du couvent au XVIII° siècle
Année 1773 Abbesse du Convent. Thérèse Flore de Seguins Piegon.
Année 1790 Déclaration des biens, titres, revenus et charges de l’abbaye
Déclaration des biens mobiliers et immeubles, revenus et charges de l’abbaye de Bagnols, jadis à Valsauve.
Année 1790 Rapport officiel relatif à l’étendue et à la valeur de la propriété de Valsauve, situé sur la commune de Verfeuil.
Spoliation et expulsion.
Suppression du couvent.
L’abbaye des Bernardine de Valsauve à Bagnols aujourd’hui.
Voir la liste complète en fin d’exposé.
(Margarita de Balma.)Année 1342 à 1385.
Marguerite de la Baume fut la première supérieure du couvent à Bagnols sur Cèze et la première à porter le titre d'Abesse.
Marguerite de La Baume était originaire du diocèse d'Uzès. Elle appartenait à une famille distinguée par la noblesse de son origine, l'importance de sa fortune et le mérite personnel de ses membres. Le nom de la famille de La Baume, La Baulme ou La Balme, en latin, de Balma — apparaît fréquemment dans l’histoire de notre contrée et se trouve mêlé à divers événements publics de cette époque.
En janvier 1353, le damoiseau Arnaud de La Baume était consul de la communauté de Saint-Laurent-de-la-Vemède, dont le territoire touchait à celui de Valsauve. (Elections consulaires.)
En 1439, noble Bertrand de La Baume, coseigneur de Verfeuil, fit reconnaissance au couvent de Valsauve. (Harchives du prieuré Saint- Paul-de-Topian.)
En 1503, noble Jacques de la Balme (La Baume) écuyer, seigneur de Sanilhac, de Verfeuil, etc., fit au roi l’hommage de ses possessions, parmi lesquelles se trouvent deux châteaux à Sanilhac, la moitié de la juridiction de Verfeuil, etc... (Archives ducales d'Uzès.)
La prieure Marguerite resta à la tête du couvent de Valsauve près d'un demi-siècle. Elle gouvernait déjà le monastère en 1342, et des actes de l'année 1385 nous la montrent encore en vie et s'occupant toujours de la direction et des intérêts de la communauté. Le 24 février 1384 (1385) Marguerite reçoit, au nom de l'église de Verfeuil, une reconnaissance de Raymond Lombard qui avait acheté, à Verfeuil, une terre relevant de la directe du monastère.
Pendant la période demi-séculaire de son administration, des événements graves s'accomplirent dans le royaume de France et eurent leur douloureux retentissement dans notre Midi.
Les Anglais s'emparèrent de plusieurs provinces, les pillèrent et les mirent sous le joug de leur autorité.
Une partie de la noblesse française périt sur les champs de bataille ; une autre partie devint prisonnière, avec le roi Jean II et fût jetée, en Angleterre, dans les fers de la captivité. Au milieu de ces revers de la patrie, des malfaiteurs nombreux surgirent de toute part, comme les fauves, ou les insectes venimeux sur un sol abandonné ; ils profitèrent du malheur général pour se livrer à tous les crimes. Les églises furent pillées, les couvents ravagés, les châteaux et les villages assiégés et souvent détruits par des bandes vagabondes, favorisées et quelquefois même dirigées et conduites par d'illustres et puissants seigneurs. Le vicomte Alzias d'Uzès fut accusé de leur prêter la main (Ménard, Histoire de Nîmes.) ; et le vicomte de Turenne de Beaufort s'était mis à la tête d'une de ces bandes, portant de tout côté le fer et la flamme, et commettant des horreurs, renouvelées, deux siècles plus tard, par les partisans du sanguinaire baron des Adrets. Valsauve subit le sort commun : il fut attaqué, pris et rançonné. La prieure avait prévu l'orage et pourvu à la sûreté de ses sœurs. Après avoir cherché sur divers points un asile sûr, elle se décida à cacher ses religieuses derrière les remparts de la ville de Bagnols.
C'est sans doute vers cette époque qu'on fit élever dans le village de Saint- Marcel-de-Careiret, à cause de sa proximité avec Valsauve, des constructions bientôt abandonnées par suite de leur insuffisance, mais destinées, dans le principe, à servir de lieu de refuge aux religieuses, au premier signal du danger, comme il a été dit précédemment.
Quand l'orage fut passé, la prieure ramena ses filles sous le toit, toujours chéri, de la maison mère. Néanmoins il fut jugé prudent de conserver à Bagnols une demeure ouverte, constamment prête à recevoir, en cas de péril, les sœurs qui retournaient à Valsauve.
Un petit détachement de religieuses resta pour garder ce poste nouveau et forma une communauté qui eut sa supérieure et ses diverses officières. Le pape Grégoire XI, qui résidait en Avignon, approuva cet état de choses, s'intéressa au sort de la jeune colonie, vint à son secours par ses largesses, et lui accorda, en 1375, les revenus du bénéfice de Saint-Thyrce-les-Maransan, situé dans le territoire de la ville de Bagnols (Archives de Valsauve et Gallia Christiana, t. VI).
Transaction avec deux communes voisines de Valsauve et acquisitions.
Dans les premières années de son administration, Marguerite eut, à régler quelques points importants, relatifs aux propriétés du monastère. Son esprit de prévoyance, de sagesse et de conciliation la fit réussir dans ses démarches et arriver à des solutions avantageuses aux intérêts de la communauté.
La famille de Saint-Laurent possédait des bois d'une étendue considérable au sud et à l'ouest de ceux de Valsauve ; ils avaient primitivement appartenu aux religieuses, et, après leur cession, ils étaient encore restés longtemps indivis avec ceux du monastère. La prieure Françoise avait provoqué et obtenu une délimitation, en 1287 comme nous l’avons vu précédemment.
Marie-Firmine acquérait donc, en 1332, la partie de la forêt appartenant spécialement à Pierre de Saint-Laurent, qui avait été exproprié. Trois ans plus tard, son frère, Gui de Saint-Laurent, subissait le même sort. Le 10 janvier 1335, le damoiseau Gui et sa femme Alizé étaient dépouillés, par expropriation publique et judiciaire, du bois qu'ils possédaient à la Rovayrole, commune de Saint-Laurent-de-la-Vernède. Ce bois était contigu, par trois côtés, à la forêt des religieuses de Valsauve, et payait au monastère, auquel il avait primitivement appartenu, un droit de censé, et relevait de sa directe, avec droit de prélation et de lods. Les nommés Lautier, drapiers d'Uzès, et leurs associés dans le commerce, s'étaient rendus acquéreurs de ce bois qu'ils avaient fait vendre eux-mêmes, par expropriation, pour se couvrir d'une créance de 26 livres 5 sols, à eux due par le damoiseau Gui de Saint-Laurent. La prieure de Valsauve, Marguerite de La Baume, voulut user de son droit de prélation, en faveur du monastère : ce bois l'accommodait ; elle en réclama la possession et en donna 30 livres tournois. Les Lautier cédèrent, sans peine, cette propriété pour pareille somme; elle leur avait moins coûté. Albaron de Pujaud, seigneur de Verfeuil, élu par la prieure procureur du couvent, passa l'acte de cession.
Le contrat fut dressé à Uzès, dans la maison de Firmin Lautier, par le notaire Guillaume Brissy, le dernier jour du mois de novembre 1342. Cet acte est le premier où nous voyons paraître le nom de Marguerite de La Baume.
Les forêts du monastère de Valsauve, surtout depuis les acquisitions faites à la famille de Saint-Laurent, étaient devenues limitrophes, au sud, avec celles des communes de Saint-Laurent-de la-Vernède et de Fontarèche ; certaines parties, même, devaient être indivises avec ces communes ou n'avoir que des limites indéterminées. Cette situation avait souvent créé des embarras aux deux parties, au sujet des droits de la jouissance et de l'usage de ces forêts. Enfin, on en était venu à un procès qui fut plaidé devant plusieurs tribunaux.
La prieure de Valsauve et son couvent prétendaient avoir les droits d'affouage, de dépaissance et d'abreuvage pour leurs troupeaux, dans une forêt dépendante du mas de Sadargues. Ce droit datait d'un temps immémorial, disait la prieure. Les habitants des communes voisines affirmaient le contraire ; ils s'opposèrent, même d'une manière ouverte et violente, à l'exercice du droit réclamé par le couvent. Le viguier royal de la ville d'Uzès, auquel les religieuses portèrent plainte, donna raison au monastère et condamna, à certaines peines, quelques habitants reconnus coupables de violence envers les serviteurs du monastère. Les communes en cause firent appel de ce jugement, devant le sénéchal de Nîmes et Beaucaire ; elles furent de nouveau condamnées. Elles en appelèrent alors au roi. Le gouverneur royal de Montpellier, à titre de commissaire délégué du roi, reçut la cause, objet de cet appel, l’examina et porta sentence. Le couvent, cette fois, fut condamné.
La prieure fit appel à son tour et soumit la cause devant le juge ordinaire de Nîmes, commissaire délégué du comte d'Armagnac, lieutenant du roi dans la province de Languedoc. Ce procès menaçait de s'éterniser, en passant d'un tribunal à l'autre, et de ruiner les plaideurs.
Des amis communs intervinrent et portèrent les parties à terminer à l'amiable leur différend : c'étaient François Brasfort, prévôt de l'église d'Uzès, Pierre de La Baume, autrement dit de Concayrat, Bertrand de Rochegude, coseigneur de Rochegude et Pierre de Deaux, seigneur de Blauzac.
Marguerite de La Baume, prieure du couvent de Valsauve, d'une part; et d'autre part, Robert de Saint- André et Guillaume Pujet, consuls de la communauté de Saint-Laurent-de-la- Vernède; Bertrand de Sadargues, Bertrand et Bérard du lieu de Fontarèche, et Pierre Trinque, procureur des habitants de ce village, approuvèrent la transaction, la confirmèrent par serment ; ils promirent en outre de la faire ratifier, la prieure par ses religieuses et par l’évêque d'Uzès, supérieur du couvent, et les autres, par les communes et les habitants qu'ils représentaient. C'était le 21 novembre 1353. L'acte fut passé à Uzès, dans l'église Notre- Dame-la-Neuve, par le notaire Pierre Avignon, en présence de Guillaume d'Aigremont, Guillaume Sauzet et des prêtres Gaucelin Roux, Jean Saurin et Pierre de Massel.
Marguerite ne se contenta pas d'assurer les droits de son couvent, elle augmenta l'étendue de ses propriétés par des achats successifs, à mesure que le produit de ses économies lui permît quelque acquisition nouvelle.
Nous l'avons déjà vue, en 1342, rachetant une forêt, jadis aliénée par le monastère. En 1354, elle acquit une terre située dans la paroisse de Saint-Julien-de-Pistrin (Saint-Julien -de-Pistrin, paroisse du doyenné de Bagnols, supprimée en 1790, annexée aujourd'hui à la paroisse de Colombiers, commune de Sabran Gard).
Les revenus de cette terre furent destinés à l'entretien du vestiaire des religieuses. Morin, notaire à Bagnols, reçut le contrat. Furent présentes à cet acte, avec Marguerite, leur prieure, sept autres religieuses du même couvent, savoir : Ricarde Pereyrie, sous- prieure. Morose de La Garne, Alix Audigier, Jacqueline Bedos, Marguerite de Pujaut, Laure de Montaren, et Gaufride Blanchard.
L'année précédente, c’est-à-dire en 1353, le couvent avait fait d'autres acquisitions. Ricarde Pereyrie était déjà sous-prieure à cette époque. Vingt ans plus tard nous la verrons, avec le même titre, assister la prieure Béatrix de La Pierre, dans le gouvernement du monastère, à Bagnols.
Ce ne fut pas seulement par des achats que Marguerite étendit les limites de ses domaines; les bons rapports qu'elle entretint avec les personnes voisines de Valsauve, joints aux sentiments de vénération et d'estime qu'on lui portait, valurent au couvent placé sous sa direction, le bénéfice de plusieurs héritages.
En 1347 (le 2 avril), une pieuse dame, Alix Reboul, du mas de Cabane, paroisse de Topian, donna au monastère de Valsauve tous les biens qu'elle possédait présentement et à l'avenir. Elle ne fut pas seule à choisir le couvent pour héritier.
Dans les environs de Valsauve, habitait un médecin qui mourut probablement sans famille. L'exercice de sa profession l’avait amené plusieurs fois au couvent.
Il connaissait la vie pieuse, mortifiée, qu'on menait dans cette retraite ; il ne crut pouvoir mieux disposer de sa fortune qu'en la laissant à un monastère où régnait la vertu et d'où la prière montait sans cesse vers le ciel. Ce fut à la prieure Marguerite de La Baume, que Jacques Adhagat, médecin, habitant de Verfeuil, donna tout ce qu'il possédait, ses biens, meubles et immeubles, présents et à venir, et laissa ainsi le couvent héritier de sa fortune. Nul doute que la sainteté de la vénérable prieure n'eût influé puissamment sur la résolution testamentaire du docteur. Cette donation porte la date du 29 mai 1381. L'acte fut reçu par le notaire Guillaume de Tolergio (Archives de Valsauve et Gallia Christiana, t. IV, ut supra).
Marguerite vécut encore quelques années, à la tête du couvent. Un acte de reconnaissance féodale ne laisse aucun doute à cet égard. Le 24 février 1384 (1385), Marguerite de La Baume reçoit, au nom de l’église de Verfeuil, dépendante du couvent de Valsauve, l'acte de reconnaissance de Raymond Lombard, pour une terre sise à Verfeuil et relevant de la directe de cette église.
(Archives du prieuré Saint-Paul-de-Topian. Registre oblong, folio XXXI. Verso)
Cette reconnaissance est le dernier acte authentique dans lequel nous avons trouvé le nom de cette prieure. La date inscrite dans cette pièce démontre clairement la longue durée du priorat de Marguerite de La Baume.
(Beatriz de Peira, alias Camba). Année 1375 à 1402.
Les auteurs de la Gallia Christiana montrent cette religieuse comme première abbesse du couvent de Valsauve, transféré à Bagnols, la font paraître dès l’année 1375 et placent Marguerite de La Baume à sa suite (Gallia Christiana, t. VI.— Liste des Abbesses de Valsauve).
Le fait ainsi présenté ne nous paraît pas exact. Dans les recherches faites, parmi les nombreux manuscrits passés sous nos yeux, nous n'avons trouvé le nom de Béatrix, comme prieure, que lorsqu'il n'était plus question de Marguerite. On peut toutefois expliquer d'une manière satisfaisante l'affirmation des auteurs de la Gallia Christiana reproduite dans le recueil de Doat (Doat, Languedoc, topographie. Volume XXIII, page 288, à la Bibliothèque nationale, manuscrits.
Il est probable que Béatrix et Marguerite gouvernèrent simultanément, pendant plusieurs années, l'une dans la maison de Bagnols, l'autre au monastère de Valsauve.
Béatrix, plus jeune que Marguerite, dirigea l'essaim religieux qui avait pris son essor vers une demeure nouvelle. Marguerite resta encore quelques années dans la ruche-mère ; ce ne fut que plus tard qu'elle alla rejoindre la jeune colonie, abritée derrière les remparts de Bagnols. Dans ces conditions, Béatrix a pu être placée à la tête du couvent dès l'année 1375.
Béatrix appartenait à la famille de Pierre ; elle portait le surnom de Cambat. Nous pensons qu'elle est la même que la noble famille de Pierre, avantageusement connue dans notre région, le siècle précédent, par les faveurs dont le roi saint Louis l'honora et les biens dont il l'enrichit (On dit que ce roi accorda à la famille de Pierre d'immenses propriétés, près d'Aigue morte, sur les bords de la mer).
Les actes de l’administration de Béatrix parvenus jusqu'à nous sont rares et en général d'une importance insignifiante : ils ne peuvent fournir que peu de renseignements ; un seul fait exception.
Deux de ses actes furent mentionnés dans les notes de Jacques Ricou, notaire à Bagnols (Aux folios 9, 10 et 70 de ses notes.). Dans le premier, Béatrix de Pierre, prieure, Ricarde Pereyrie, sous-prieure, Gillette Macaire, Marguerite de Tournon Lucie de Marisaygues, Agnès de Fort et Sabrane de Pousillac, tant en leur nom qu'au nom des autres religieuses absentes, donnent procuration à noble Alzias de Colombiers, du lieu de Laudun. L'acte fut passé à Bagnols, dans leur couvent ; elles s'étaient réunies au son de la cloche de la communauté.
Dans le second acte, dressé par le notaire Ricou, en 1389 — (nous n’avons pas trouvé la date du premier acte), Béatrix de La Piere est surnommée Cambat.
En 1402, Béatrix, du consentement de ses religieuses, cède à un nommé Guillaume Comolet, diverses terres situées sur le bord de Davègue, au quartier appelé le Raïol (Archives du prieuré Saint-Paul-de-Topian ; registre oblong, folio XVIII, verso).
Dans cette pièce, Béatrix est encore surnommée Cambat, et l'on observe, comme dans les actes précédents, que c'est avec le conseil et le consentement des sœurs du monastère qu'elle agit.
Le cardinal Jean de la Grange, un des hommes les plus célèbres de la France, à son époque, fit une fondation pieuse en sa faveur et traita directement cette affaire avec la prieure et les religieuses du couvent. Dans son testament du 12 avril 1402, le cardinal mentionne cet acte et en rappelle les conditions.
Ce fut probablement l'appui de son influence qui valut aux prieures de Valsauve le titre d'abbesses, donné, dès cette époque, aux supérieures de ce monastère.
D'après leurs conventions, les religieuses du prieuré de Valsauve, ordre de Saint-Benoît, dans le diocèse d'Uzès, devaient réciter, chaque jour, le psaume De profundis avec l'oraison Inclina pour le repos de l'âme du roi Charles V, bienfaiteur du cardinal ; et l'oraison Fidelium Deus omnium conditor, pour tous les fidèles ; et chaque année, le 16 du mois de septembre, jour anniversaire de la mort du roi Charles (Le roi Charles V, dit le Sage, fils ainé du roi Jean le Bon naquit en 1337, monta sur le trône de France en 1364 et mourut en 1380.); elles devaient réciter l'office de neuf leçons et faire célébrer, dans leur chapelle, une messe de mort, à laquelle assisterait toute la communauté.
Les religieuses devaient aussi, la vie durant du cardinal, réciter chaque jour, pour la conservation de sa santé, l'hymne Veni, Creator, avec son oraison, et le psaume Miserere mei, Deus, avec les oraisons : Deus cui proprium est, etc., et : Protende Domine , famulo tuo. De plus, chaque semaine, elles devaient faire célébrer, en faveur du même cardinal, une messe du Saint-Esprit ou de la sainte Vierge, en ajoutant, à chaque messe, une oraison pour le roi défunt. Enfin, après sa mort, au jour anniversaire de son trépas, elles devaient faire célébrer, chaque année, une messe solennelle pour le repos de son âme, en y ajoutant une oraison pour son bienfaiteur le roi Charles et une autre oraison pour tous les fidèles défunts.
L'évêque d'Uzès, Pierre de Beaublé, fut un des exécuteurs testamentaires des dernières volontés du cardinal de La Grange ; sa mission était facile à l’égard du couvent de Valsauve : il relevait de son autorité.
Les auteurs de la Gallia Christiana montrent Béatrix comme première supérieure de sa communauté, revêtue de la dignité abbatiale. La prospérité du monastère sous son administration, la confiance qu'elle inspirait et qui attirait à son couvent des fondations, de la part même des princes de l’Eglise, tels que le cardinal de La Grange, les bonnes relations qu'elle sut établir et conserver avec des personnes puissantes près de la cour pontificale, expliquent et justifient la faveur de cette concession ; et cette faveur importante accordée au couvent de Valsauve fait, à son tour, l'éloge de Béatrix : elle avait su la mériter par ses talents et ses vertus.
(Richarda, Ricarda, Ricardis de Gaudiaco.) Années 1432 à 1450.
Cette prieure est appelée Raymonde, par les auteurs de la Gallia Christiana : c'est à tort. Nous avons trouvé plusieurs actes, soit publics, soit privés, contemporains de cette religieuse et dans lesquels son nom paraît. Elle n'est désignée, dans aucun, sous celui de Raymonde. L'orthographe de son nom religieux a varié sous la plume des écrivains officiels du quinzième siècle, mais le radical du mot lui-même n'a pas changé. Les uns ont écrit Ricarda, les autres Richarda (Guillaume Page, notaire à Bagnols, année 1432.), et d'autres Ricardis (Jean Alleman, notaire à Cavillargues, année 1455.) Tous, dans leur latin, traduisaient un même nom que n'exprima jamais le mot de Raymonde, ni en français, ni en langue vulgaire. Ce n'est donc pas du nom de Raymonde qu'il faut appeler cette religieuse.
Mais comment faut-il traduire en français le nom de cette prieure, donné sous trois formes différentes dans les textes latins ? Evidemment le prénom de la prieure de Gaujac était prononcé et s'écrivait, dans l’usage ordinaire, d'une manière uniforme. Une heureuse trouvaille nous a tiré d'embarras et ne nous a laissé aucune hésitation. Nous avons trouvé dans un vieux registre, ayant appartenu au couvent de Valsauve, une note tracée de la main de la prieure de Gaujac elle-même : elle y a écrit son nom et son prénom. Nous adoptons l'orthographe employée par cette religieuse et nous la désignons comme elle s'appelle elle-même, sous le prénom de Ricarde.
"Memoria sia que lam que hon conte mile CCCC L VII e lo VI del mes de désenbre sia causa manifesta a tos prèsens e devens ors que yeu Ricarda de Gaujac dona del Val-Salvas ay baylat [à] Anthony de Sallayrargues de terras q môntan très saumadas de lavor, las quals terras deù laurar e arrar e adobar et semenar ben e lialmêns e a quo a luchem. E a quo a jurat en las mans del capellan. . .
Ricarde de Gaujac était née dans les environs de Bagnols, peut-être à Bagnols même. Sa famille possédait la seigneurie de Gaujac (Gaujac est un village du canton de Bagnols (Gard), situé à douze km de cette ville) et habitait ce village dont elle portait le nom (Notes de Jean Alleman, notaire de Gavillargues, et papiers communiqués par M. le comte de Castries, de Gaujac en 1885.)
Ricarde succéda-t-elle immédiatement à Béatrix dans la charge de prieure de Valsauve ? Ou bien y eut-il dans ce couvent une autre supérieure à la suite de Béatrix avant la nomination de Ricarde ? Nous n'avons rencontré jusqu'ici aucun document qui puisse répondre à ces questions et les résoudre. Il est probable que, dans l'intervalle de trente ans, qui court de l'année 1402, époque où nous avons mentionné Béatrix pour la dernière fois, à l'année 1432, où Ricarde apparaît pour la première fois, il y eut une prieure dont nous n'avons pas encore trouvé le nom. Un jour, peut-être, nous sera-t-il donné de le découvrir. Ce qui est certain, c'est que Ricarde de Gaujac était déjà à la tête de la communauté de Valsauve en 1432, comme nous le verrons plus loin.
L'administration de Ricarde fut longue : elle dura plus d'un quart de siècle. Des faits importants et nombreux durent s'accomplir pendant cet espace de temps ; toutefois nous n'en connaissons que très peu.
Nous possédons seulement les pièces notariées de quelques actes de son administration et le texte de son testament. Ces pièces suffisent pour nous faire apprécier l'ensemble de la conduite et des sentiments de la prieure. L'examen des actes administratifs montre la vigilante attention de Ricarde pour conserver les droits de son monastère ; le testament nous découvre les affections de son cœur pour les membres de sa famille et pour son cher couvent quelle fit son héritier universel. Ce testament nous fournit encore des détails précieux sur la situation de la communauté qui ne possédait pas une chapelle à Bagnols, ou du moins, une chapelle digne d'un couvent. Ricarde laisse une somme considérable pour la construction d'une église dans la maison qu'elle dirige. Nous ferons connaître, à la fin de cet article, les autres principales dispositions testamentaires de cette prieure ; elles ne manquent pas d'intérêt.
Le premier fait que nous connaissions de l’administration de Ricarde est un acte de délimitation de propriété. Le territoire du couvent de Valsauve était contigu, du côté du levant, avec celui de la commune de Saint-Marcel-de-Careiret. Sur certains points limitrophes, les bornes placées autrefois avaient disparu et les limites étaient devenues incertaines. De cette incertitude surgissaient parfois des difficultés. Les parties intéressées convinrent de régler cette question par une plantation de termes. Elles désignèrent des experts pour faire ce travail ; un notaire fut appelé pour assister à l'opération et en dresser l'acte authentique. Au jour fixé, on se rendit sur le terrain.
Les deux seigneurs juridictionnels de Saint-Marcel, l'évêque d'Uzès et N. de Montlaur, seigneur aussi de Sabran, préférèrent rester en dehors de cet arrangement, Pons de Cane, lieutenant du bayle de l'évêque et Jacques Marcel, bayle du seigneur de Montlaur, assistèrent aux opérations diverses de cet acte de délimitation. Quand les bornes ou termes eurent été plantés, les points litigieux réglés, l’accord entièrement établi, le notaire Guillaume Fage, de Bagnols, sur la demande des parties et séance tenante, prit les notes nécessaires à la rédaction de l’instrument public destiné à constater officiellement l'authenticité de la délimitation des territoires: il en donna lecture. Les parties approuvèrent son travail, promirent de tenir fidèlement et d'observer toujours les conventions intervenues entre elles, dans cette circonstance, et placèrent leurs promesses sous l'inviolabilité d'un serment solennel. Les hommes de Saint-Marcel jurèrent, la main sur les saints Evangiles et la dame prieure, en posant la main sur sa poitrine, selon la coutume des religieuses. Cet acte fut passé le 23 octobre de l'année 1432, dans la forêt de la Lauzière, près du terme nouvellement planté sur ce point entre deux chênes. Parmi les témoins se trouvaient Jean Dupont, du diocèse de Monde, clerc de l'église de Verfeuil, et noble Ermessinde de Béziers (La famille de Béziers, établie à Vénéjan, formait, au XV° siècle, plusieurs branches répandues dans les environs de Bagnols. Son nom figure dans les archives communales de Saint-Etienne-des-Sorts, Chusclan, Saint-Nazaire, etc.), religieuse du couvent de Valsauve, qui avait accompagné sa supérieure.
Le 25 juillet 1438, vénérable et religieuse dame Ricarde de Gaujac, prieure de Valsauve, visite les propriétés de son couvent situées dans l'étendue de la paroisse Saint-Paul-de-Topian. Un notaire et plusieurs personnes honorables de Verfeuil l'accompagnent dans cette inspection. La prieure, qui faisait ces courses dans l’intérêt de son monastère, ne dut pas regretter ses fatigues. Elle découvrit, au quartier des Boissières, une terre abandonnée ; elle la confia, sans retard, à un colon qui promit d'en payer, pour redevance annuelle, une obole et la quatrième partie des fruits qu'il en retirerait. C'est ainsi que Ricarde veillait attentivement à la conservation et à la garde des droits du monastère confié à ses soins.
Environ quinze ans plus tard, nous trouvons la prieure de Gaujac au milieu des ennuis. Toute longue administration a les siens ; rarement on y échappe, même dans un couvent. Ils sont plus ou moins graves ; leur durée, comme la nature de leur cause, varie à l'infini ; ils proviennent tantôt de l'intérieur, tantôt de l'extérieur, mais leur existence n'en est pas moins réelle. Le long gouvernement de Ricarde ne fit pas exception à cette règle générale.
Des plaintes se firent entendre.
On reprochait à la prieure, parait-il, de négliger les intérêts de la communauté, de laisser dépérir, dans ses mains, les revenus du couvent, de mal diriger l’administration du monastère.
Quels furent les accusateurs ?
Etait-ce quelqu'un de ces esprits inquiets, chagrins, mécontents, que les communautés religieuses ne parviennent pas toujours à éloigner de leur sein, malgré la prudence apportée dans le choix des admissions, et qui font plus tard leur tourment ? Etait-ce quelque personne du dehors, froissée, dans son amour-propre, par quelque refus, et poussée par des sentiments de haine et de vengeance ? Ou bien simplement un de ces êtres qui voient partout, chez les autres, des réformes à faire et se donnent sérieusement à eux-mêmes la mission de les opérer ? Nous n'avons pu le découvrir. Mais les plaintes devaient être vives.
Il semble même qu'elles furent d'abord prises en considération, par l'autorité ecclésiastique à laquelle s'adressèrent les plaignants. Le monastère Notre-Dame-de-Valsauve relevait de l'évêché d'Uzès. Gabriel du Châtel se trouvait, à cette époque, à la tête de ce diocèse (Gabriel du Châtel fut évêque d'Uzès de 1449 à 1462. Il mourut à l'âge de 32 ans. Il n'avait pas 20 ans, quand il fut élevé à l’épiscopat !)
C'était un prélat tout jeune et d'un caractère actif, remuant. Il pourrait bien se faire que, dans son ardeur, il eût accueilli, avec trop de facilité les accusations portées contre la prieure Ricarde. A son âge, — il n'avait pas 25 ans, — et avec la vivacité de sa nature, une démarche un peu précipitée n'aurait rien qui étonne beaucoup ; la bonne foi d'un évêque est d'ailleurs si souvent exposée à être surprise. Cette conduite n'en dût pas moins peiner profondément la vénérable supérieure. De toutes les blessures faites au cœur d'un inférieur, une des plus douloureuses est celle qui provient de l'injuste condamnation de ses actes, par un supérieur qu'on est habitué à respecter, quand on croit avoir fidèlement accompli son devoir.
Une enquête fut ouverte. Rien ne nous apprend si elle fut faite sur l'initiative de l'autorité diocésaine ou d'après les désirs de l'accusée. Toutefois nous en connaissons les résultats : ils démontrèrent la fausseté des accusations portées contre la prieure et justifièrent les actes de son administration. Le notaire bagnolais, Pons Vivène, consigna, dans un acte public, les conclusions de cette enquête. Dans cet acte, qui porte la date du 27 mars de l’année 1454, il est déclaré et reconnu que la prieure Ricarde de Gaujac avait bien administré les affaires de la communauté (Gallia Christiana, t. VI.).
Si les accusateurs de la prieure avaient cru la perdre par leurs attaques, ou du moins la décourager et la forcer à quitter sa charge, ils furent bien déçus de leurs espérances. Ricarde resta à la tête du couvent et continua à consacrer à sa direction son activité, ses forces, son intelligence. Nous la voyons encore, trois ans plus tard, en décembre de l’année 1457, agir comme maîtresse du monastère. C'est à son nom et comme dame de Valsauve, qu'elle cède, à Antoine de Sallayrargues, des propriétés de son monastère, situées dans la paroisse de Saint-Paul-de-Topian.
Enfin, arriva un moment où, brisée par l'âge, les travaux, les infirmités, la prieure sentit ses forces faiblir et comprit la nécessité de laisser, à une religieuse plus jeune et plus robuste, une dignité dont le poids était trop lourd pour ses vieux ans. Peut-être aussi voulut-elle, après avoir travaillé longtemps pour les autres, s'occuper plus spécialement d'elle-même, et se préparer, dans le recueillement et la prière, pendant les derniers jours qui lui restaient, à rendre compte à Dieu de son administration et de son existence. Elle se démit de ses fonctions et déposa, sur des épaules plus jeunes, le fardeau du priorat.
Ricarde, après s'être démise de la dignité de supérieure, vécut dans le monastère pendant plusieurs années, entourée de l'affection et de l’estime de toutes les religieuses. Les plus âgées, comme les plus jeunes, se faisaient un plaisir et un devoir de lui être agréables, de prévenir ses désirs et de rendre ses derniers jours aussi doux que possible. C'étaient de vraies sœurs, ou plutôt des filles affectueuses, prodiguant à une mère bien-aimée les attentions les plus assidues, les soins les plus dévoués. Les liens de la parenté et du sang augmentaient encore, chez plusieurs d'entre elles, les sentiments de la bienveillance religieuse. La prieure qui avait succédé à Ricarde, Jeanne Maurel, était de sa famille ; la jeune Antonie Maurel était sa nièce, ainsi que Sybilie de Gaujac, jeune fille placée dans le couvent, sous la direction de sa vénérable tante, pour s'instruire des connaissances exigées, à cette époque, de la fille d'un châtelain, et en même temps étudier la voie dans laquelle la Providence voulait l'appeler et découvrir sa vocation (Sybilie mourut religieuse du couvent de N.-D.-de-Valsauve. Archives du château de Gaujac).
Nous ignorons la date de la mort de Ricarde de Gaujac ; nous savons cependant quelle vivait encore en 1459. Au commencement de janvier de cette même année Ricarde fit son testament ( La minute de ce testament existait en 1885 ; elle se trouvait dans l’étude de Me Ribière, notaire à Bagnols Gard.)
Le notaire Jean Alleman se rendit dans le monastère des religieuses de Valsauve, à Bagnols, et reçut, dans un acte public, les dernières volontés de l'ancienne prieure. Les dispositions pieuses de Ricarde sont nombreuses ; nous tenons à mentionner les principales ; elles montrent les richesses de son cœur, qui n'oublie rien, et ses sentiments de piété ; elles nous fournissent, en même temps, des détails assez curieux sur la composition de sa fortune et la distribution qu'elle en fit.
Les églises et les couvents eurent la première part de ses libéralités. Elle laissa un souvenir de sa générosité à l'église paroissiale Saint-Jean, de la ville de Bagnols et au couvent des Frères-Mineurs et des Carmes, établis dans cette ville; chacun de ces trois établissements reçut deux florins d'or. Dix florins de la même monnaie furent donnés à l'église paroissiale de Verfeuil, pour être employés à la construction d'une sacristie, derrière le maître autel, et à l'érection de deux autels, l'un en l'honneur de la sainte Vierge et l'autre en l'honneur de Saint-Paul (Peut être pour rappeler le souvenir de l'église de Topian, dédiée à saint Paul, et probablement détruite à la fin du siècle précédent, par les Tuchins ou autres bandes de pillards.)
Trente-quatre florins d'or furent légués à l'église paroissiale de Saint-Théodorit, de Gaujac, pour servir à élever, dans cet édifice, une chapelle dédiée à Saint-Denis et assurer la fondation perpétuelle d'une messe, qu'on célébrerait chaque semaine, dans cette chapelle, pour le repos de son âme, de celle de ses parents et de ses bienfaiteurs. La somme léguée, pour la construction de cette chapelle, devait s'élever à cinquante florins, si sa nièce Sybilie ne se faisait pas religieuse. Pons de Gaujac, seigneur du village dont il portait le nom et neveu de Ricarde, devait acquitter tous ces legs avec l'argent que lui avait laissé sa tante. Si la jeune Sybilie, qui était la sœur de Pons, ne se faisait pas religieuse, le seigneur de Gaujac devait donner une autre somme de cinquante florins d'or, dans l'espace de trois ans ; l'emploi en était déterminé : ils devaient servir à construire une église dans le couvent de Valsauve, à Bagnols, à la charge, par le monastère, d'y faire célébrer, à ses intentions, un service, perpétuellement chaque année.
Quatre religieuses de la communauté reçurent un souvenir spécial. Ricarde légua par acte testamentaire à la prieure Jeanne Maurel, qui lui avait succédé, à noble Florette de Salsane et à sa nièce Antonie Maurel, une cuiller d'argent à chacune. Artaude de Greyssac fut gratifiée d'un manteau, sans doute d'étoffe précieuse. Sa nièce Sybilie de Gaujac qui n'était pas religieuse, mais vivait dans le couvent pour y faire son éducation, reçut en dons plusieurs objets de prix.
Ricarde lui légua, pour en disposer à son gré, un couvert d'argent, un anneau d'or, monté d'un saphir taillé en forme de triangle ou de cœur, deux armoires, sa chape, son bréviaire et son livre de matines. De plus, elle lui donna la jouissance, sa vie durant, si elle devenait religieuse, d'une coupe d'argent doré, du poids d'un marc et demi d'argent. A la mort de la donataire, cette coupe devait être convertie en une croix d'argent pour le monastère de Bagnols. Si la jeune Sybilie ne se faisait pas religieuse, cette coupe serait transformée en une croix d'argent, pour le monastère, du jour où la testatrice décéderait.
Mais les principales faveurs de Ricarde furent réservées à son cher monastère. Elle l'établit, dans tous ses biens et droits quelconques disponibles, pour son héritier universel, conjointement avec les religieuses du couvent. Elle choisit pour exécuteurs testamentaires, des personnes distinguées par leur position sociale, leur religion et leurs connaissances juridiques. Ce sont noble Jean Roch, du lieu de Saint-Saturnin (Aujourd'hui : le Pont-Saint-Esprit.), Grimoard Maurel, prêtre, et Simon Raynaud, notaire de la ville de Bagnols.
Parmi les témoins se trouvaient : noble Gabriel Roch, Raymond Vigier, prêtre, Antoine Trouchaud, du lieu de Gaujac, Jean Planchet, de la paroisse de Cavillargues, etc.
Ce testament est le dernier acte que nous possédions de la prieure Ricarde de Gaujac.
A l’extrémité ouest du diocèse d'Uzès, au pied du mont Bouquet et au sud-ouest de cette montagne, existait, près de la paroisse de Seynes, une communauté de filles, dont la fondation remontait au XII°' siècle. C'était le couvent des Angustrines, ainsi appelé du nom du quartier rural où s'éleva leur monastère (On l'appela aussi, par corruption du mot : Angostrines, Angoustrines et plus tard on écrivit même Augustines. Mais dans le langage usuel, il fut toujours nommé par le peuple, comme il est encore appelé aujourd'hui : les Angoustrines). Ce quartier, formant un vallon étroit et accessible du côté du nord et du sud par un passage resserré entre le mont Bouquet et les collines de Saint-Just, avait tiré lui-même sa dénomination du mot latin Angustiœ, qui signifie passage étroit, défilé.
Le développement de ce monastère n'avait pas été, parait-il, en rapport avec les espérances des fondateurs, et la générosité des familles bienfaitrices. Raymond II, évêque d'Usés, pour couronner glorieusement un épiscopat d'environ quarante ans d'exercice (Raymond de Posquières et d'Uzès monta sur le trône épiscopal d'Uzès en 1150 ; il vivait encore dans l’année 1188. — Trois de ses frères furent évêques et occupèrent les sièges de Nîmes, Lodève et Viviers), donna à l'abbesse Ermessinde le lieu des Angustrines, afin qu'elle établit, sur ce point de son diocèse, un monastère de l’ordre de Cîteaux, et fit fleurir, dans cette solitude, les vertus de la vie religieuse. Pour favoriser l'accroissement de la communauté nouvelle, assurer son avenir et lui laisser un témoignage perpétuel de sa bienveillance, Raymond avait exempté le couvent du paiement de tout droit. La donation s'était faite avec solennité ; Guillaume, évêque de Nîmes, y avait assisté comme témoin ; la charte de concession fut dressée au mois de janvier de l'année 1188.
La puissante et riche maison d'Uzès, à laquelle appartenait Raymond II, s'associa, par ses libéralités, à la pieuse entreprise du vénérable prélat, et lui continua l’appui de sa fortune.
Les secours accordés par elle à ce couvent, dès cette époque et dans la suite, à diverses occasions lui permirent de se considérer comme fondatrice du monastère des Angusturines.
Malgré l’éclat de sa fondation et la puissance de ses bienfaiteurs, les constructions du couvent n'étaient pas terminées un siècle plus tard. Les religieuses n'y possédaient qu'un pied-à-terre provisoire et n'y demeuraient pas à poste fixe. Cette situation nous est révélée par les dispositions testamentaires de Décan d'Uzès, qui voulut la faire cesser.
Décan, seigneur d'Uzès, était fils de Brémond d’Uzès et de Guiraude d'Adbémar de Rochemore ; il était frère de Robert, évêque d'Avignon. II épousa Etmengarde, fille de Bernard Pellet seigneur d'Alais (Ales); il mourut vers l'an 1286. Son testament contient un grand nombre de dispositions pieuses : nous avons vu ci-devant, que le couvent de Valsauve eut droit à ses largesses testamendiaires.
Ce seigneur crut de son devoir et de sa piété de terminer l'œuvre commencée par ses ancêtres. Son testament, daté du 4 des nones de juillet de l'année 1283, contient d'abord une fondation en faveur du couvent des Angusturines, pour témoigner de sa confiance aux prières de la communauté. Il lui lègue 25 livres tournois qu'on doit placer pour la constitution d'une rente.
Les revenus de ce placement seront consacrés à la célébration perpétuelle d’un service annuel pour le repos de l'âme de ses parents, et surtout de sa sœur Ermessinde, dont le corps repose dans le monastère de Bonlieu, au diocèse de Valence.
Au témoignage de la confiance, Décan ajouta celui de la générosité. Les constructions du couvent des Angustrines étaient insuffisantes pour recevoir toute une communauté ; les religieuses ne pouvaient par suite y habiter et se trouvaient forcées d'avoir leur domicile sur un autre point du diocèse. Décan lègue 1,500 sols tournois pour qu'on termine le monastère : les religieuses auront ainsi, dans cette solitude, une demeure convenable, si elles veulent s'y fixer et y résider en personne d'une manière permanente.
Les constructions primitives du couvent s'élevaient au fond de la vallée et sur le bord d'une source abondante ; il n'en subsiste aujourd'hui que des ruines ; la source elle-même est tarie. Ces ruines sont situées sur la ligne ferrée d'Alais au Rhône, entre les stations de Brouzet et de Seynes, du côté sud de la voie. Bien qu'on passe à côté d'elles, leur peu d'importance ne saurait frapper le regard du voyageur. La forme du travail peut seule attirer un peu l'attention des archéologues : les murs sont bâtis en appareil moyen.
Cette situation, au fond d'une vallée et sur le bord de l'eau, devait rendre le couvent humide et son séjour malsain ; elle suffirait, à elle seule, pour expliquer le peu de prospérité du monastère à son origine.
Plus lard, on établit le couvent, environ 150 mètres plus loin. L'emplacement fut mieux choisi : l'édifice fut construit un peu sur la hauteur, sur le flanc méridional d'un coteau, à l'abri de l'humidité, ayant à ses pieds le vallon et recevant largement les rayons du soleil et les courants de l'air, tout en se trouvant défendu par le sommet de la colline, contre la violence des vents du Nord si fréquents et si impétueux dans cette région. Il peut se faire que le legs de Decan ait servi à opérer ce changement nécessaire pour la santé des religieuses. Ces dernières constructions sont arrivées jusqu'à nous, en partie du moins, assez bien conservées.
A l'époque des guerres de religions, les protestants en démolirent une partie ; ce qui reste suffit néanmoins pour nous faire apprécier l’ensemble du bâtiment. Il était construit dans le style roman ; ses portes sont basses, étroites, en plein ceintre ; il en est de même des fenêtres. Les pierres, tirées des carrières de Brouzet, sont taillées dans les dimensions de l’appareil moyen. Les constructions du monastère paraissent n'avoir jamais eu une grande importance.
Les religieuses abandonnèrent cette solitude d'assez bonne heure, et selon toute apparence, vers la seconde moitié du XV°siècle. L'autorité ecclésiastique, qui avait conseillé ou ordonné cet abandon aux religieuses, leur laissa toute liberté dans le choix de leur retraite. Il parait qu'elles en profitèrent. M. l'abbé Goifion dans son Dictionnaire historique du diocèse de Nîmes, au mot Angoustrines, nous apprend qu'elles se réunirent aux Bénédictines de Montseau (Hérault). Il semble prouvé que toutes les religieuses du couvent des Angustrines n'allèrent pas chercher dans le diocèse de Montpellier un asile qu'elles pouvaient trouver dans le diocèse d'Uzès, où existaient plusieurs couvents de femmes (Non loin des Angustrines, vers l'ouest il y avait le couvent des Cisterciennes de Notre-Dame-des-Fonts ; Notre-Dame-de-Valsauve se trouvait un peu plus loin, dans une direction opposée). Leur supérieure fut de ce nombre. D'après un acte notarié, qui porte la date du mois d'août de l'année 1487 et contient un projet de ferme de la dîmerie du prieuré de Seynes, — noble dame Claude-Maurel, prieure du monastère de Notre-Dame-des-Angustrines et du prieuré de Saint -Baudile-de-Seynes, habitait, à cette époque, la ville de Bagnols, dans le couvent de Notre-Dame-de-Valsauve.
Les causes de la préférence de cette prieure pour Bagnols ne sont exprimées nulle part ; elles purent être multiples et de diverse nature : il est facile d'en signaler plusieurs, sans trop de témérité. Les liens du sang, les affections de l'amitié, l’amour du pays natal, purent exercer quelque influence sur cette décision et s'ajouter aux désirs de l'autorité ecclésiastique et aux avantages qu'offrait déjà par lui-même le couvent de Bagnols, agréablement situé dans une ville, doté richement, puissamment protégé et habité par des personnes distinguées.
Claude Maurel appartenait probablement à la noble famille de ce nom qui possédait la seigneurie de Saint- Paulet-de-Caisson, près de Bagnols, et avait, à cette époque, un de ses membres à la tête du monastère même de Valsauve : l'abbesse Catherine Maurel. Les autres religieuses de Valsauve ne devaient pas lui être non plus inconnues ; plusieurs étaient ses amies d'enfance, et, selon toute apparence, elle avait fait son éducation dans ce monastère avec les autres jeunes filles nobles de la contrée, sous la direction des abbesses Ricard de Gaujac ou Jeanne Maurel. Il n'est donc pas étonnant que Claude ait choisi Bagnols pour lieu de sa retraite. L'autorité ecclésiastique s'était prononcée ou se prononça dans le même sens : le couvent des Angustrines, avec ses possessions et ses droits, fut uni à celui de Valsauve.
Cette union apporta au couvent de Valsauve des droits féodaux, des propriétés territoriales et la dîme du prieuré de Saint-Baudile-de-Seynes. Mais au point de vue moral, cette union fut encore plus précieuse ; elle mit en relief le couvent de Notre-Dame-de- Valsauve, étendit le cercle de son influence et augmenta, avec sa fortune, l’importance de sa situation.
Les religieuses de Valsauve ont possédé, jusqu'au moment de la révolution, qui les chassa de leur couvent, la plupart des droits que leur avait procurés l’union du couvent des Angustrines. En 1790, la dernière abbesse du monastère de Notre- Dame-de- Valsauve, Flore de Seguins-Piegon, les mentionna dans sa déclaration officielle au gouvernement. Elle faisait en même temps connaître que le domaine des Angustrines avait été aliéné en 1782 et acquis par le sieur Antoine Joyeux, à un prix déterminé et sous l’albergue d'une croix abbatiale d'or.
(Johanna Maurella). Années 1459 à 1485.
Jeanne Maurel fut placée à la tête du couvent de Notre-Dame de Valsauve du vivant même de Ricarde de Gaujac, et lui succéda directement. Elle dirigeait cette communauté et portait le titre de prieure moderne lorsque Ricarde testa en 1459.
Jeanne appartenait à une famille distinguée de la région. Les Maurel, comme les Gaujac, faisaient partie de la noblesse et possédaient divers fiefs dans le diocèse d'Uzès; ils furent, vers cette époque, seigneurs de Saint-Paulet-de-Caisson (Saint-Paulet-de-Caisson est un village du département du Gard, situé à 4 kilomètres de Pont-Saint-Esprit; sur son territoire, borné au nord par la rivière de l’Ardèche, se trouve le monastère de la Chartreuse de Valbonne.)
Au moment où la prieure Ricarde testait, les familles Maurel et Gaujac étaient unies par les liens du sang. Antonie Maurel, religieuse à cette époque, du couvent de Valsauve, était, tout à la fois, nièce de Ricarde de Gaujac et proche parente de Jeanne Maurel.
La vertu et l’intelligence devaient égaler, dans Jeanne, la noblesse de son origine. D'autres religieuses appartenant à des familles distinguées. Flore de Salsane, Artaude de Greyssac, se trouvaient dans le même couvent lorsque Ricarde se démit de ses fonctions. Jeanne leur fut préférée à cause, sans doute, de l'ensemble de ses mérites. La sagesse de son administration justifia les espérances fondées sur la solidité de sa vertu et la rectitude de son intelligence. La présence de l’ancienne supérieure dans la communauté présentait des difficultés réelles et créait à Jeanne une situation délicate. Son bon esprit sut les éviter. Elle laissa à Ricarde les illusions du commandement, tout en dirigeant elle-même; prit à sa charge les peines, les soucis, les fatigues, et abandonna à sa vénérable devancière les honneurs et les avantages du pouvoir. Aussi Ricarde, dans son testament, a-t-elle soin de manifester sa satisfaction en laissant un souvenir à la prieure moderne; elle lègue à Jeanne une cuillère d'argent, objet précieux à cette époque où l'argent était très rare.
On possède peu de renseignements sur les actes administratifs de cette prieure. Il est permis toutefois de supposer qu'elle eut des ennuis ou fut menacée d'en éprouver. Ce fut sans doute dans le but de conjurer tout péril, d'assurer la tranquillité de son monastère et de mettre sa responsabilité à couvert, qu'elle réclama protection auprès de la puissance séculière. Sa demande fut exaucée. Des lettres de sauvegarde, délivrées au nom du Roi, et données à Toulouse le 14 mars 1462, lui furent expédiées (Archives municipales de Nîmes.). Son monastère, les personnes et les biens qui en dépendaient, étaient mis sous la protection de Louis XI.
On trouve le nom de Jeanne Maurel dans un acte de vente passé en 1466, par le notaire Pierre Moyssard, de Bagnols, et dans une reconnaissance féodale reçue par le même notaire le 27 juin 1467. Enfin en 1470, noble Jeanne Maurel, prieure du couvent Notre-Dame de Valsauve, donnait sa procuration.
En quelle année la prieure Jeanne céda-t-elle le pouvoir ou mourut-elle? Nous l'ignorons. Toutefois, il est probable, d'après ce que nous allons dire à l'article suivant, que Jeanne gouverna le monastère de Valsauve jusques vers l’année 1485, époque à laquelle Catherine Maurel lui aurait succédé.
(Johanna). Années ?.
Les auteurs de la Gallia Christiana, suivis par Doat, ont placé Jeanne d'Ile à la suite de Jeanne Maurel, dans le gouvernement du monastère de Valsauve.
Ils disent que Jeanne d'Ile est connue par l'acte de résignation de sa charge d'abbesse. Ils ne donnent aucune date, ni de prise de possession, ni de résignation.
Si Jeanne Maurel vivait encore quand Jeanne d'Ile gouvernait le couvent, comme semblent le dire les mêmes auteurs, la nomination de Jeanne d’Ile parait assez extraordinaire. Jeanne Maurel aurait-elle, pour des raisons de santé ou autres, quitté d'abord le pouvoir pour le reprendre ensuite — ou bien une scission, produite parmi les religieuses, aurait-elle porté Jeanne d'Ile au pouvoir qu'elle aurait laissé plus tard, pour un bien de paix ? — ou encore, aurait-on voulu diviser l'autorité, pour en rendre la charge moins lourde, en plaçant une supérieure dans la maison de Bagnols et une autre supérieure dans celle de Valsauve : combinaison bientôt abandonnée pour revenir à l'unité du commandement ? Nous ne pouvons le dire. Nous n’avons, même jusqu'ici, rien trouvé qui se rapporte à cette religieuse.
Toutefois, par respect pour l'autorité des savants auteurs de la Gallia Christiana, nous citons son nom dans ce travail ; mais nous ne pouvons que le mentionner, tout autre renseignement faisant complètement défaut.
Pour Jeanne III Maurel, placée par les mêmes auteurs à la suite de Jeanne d'Ile, — avec l'expression cependant d'un doute sur son existence, — nous ne pouvons la regarder comme une abbesse nouvelle du monastère de Notre-Dame-de-Valsauve. Les documents que nous avons examinés nous prouvent qu'elle n'est autre que Jeanne Maurel, déjà prieure en 1459. L'acte de prise de possession rappelé par eux, ne paraît autre que celui de Catherine Maurel, dont il est question à l'article suivant. La personne qui fournit à ces auteurs les renseignements sur le couvent de Notre-Dame-de-Valsauve, aura fait ici une confusion dans les noms, comme il lui était déjà arrivé au sujet de Ricarde de Gaujac.
(Catharina Maurella). Année 1485.
Cette religieuse devint abbesse de Notre-Dame-de- Valsauve par la mort ou la démission de Jeanne Maurel. Le Pape Innocent VIII confirma sa nomination.
C'est assurément à Catherine que se rapportent le diplôme accordé à l’abbesse de Valsauve par ce Pontife, sous la date de la première année de son pontificat, et l'acte de prise de possession de ce couvent par la nouvelle abbesse, sous la date du 13 avril 1485 : diplôme et prise de possession mentionnés par les auteurs de la Gallia Christiana.
Catherine ne le cédait à ses vénérables devancières ni en noblesse, ni en intelligence, ni probablement en vertu. Elle appartenait évidemment à la famille de l’abbesse Jeanne Maurel, dont nous avons fait connaître la situation élevée dans le diocèse d'Uzès. Ce fut, d'après toute apparence dans le couvent même de Valsauve qu'elle fit son éduction, avec les autres jeunes filles nobles du voisinage. Les divers actes d'administration qui s'accomplirent, dans le monastère, pendant la durée du gouvernement de Catherine, démontrent l'esprit éminemment pratique de cette abbesse.
Nous avons vu, précédemment, que, durant la seconde moitié du quinzième siècle, le couvent de Valsauve avait acquis une nouvelle importance. A cette époque, le monastère des Angustrines lui fut uni, avec ses droits nombreux et ses revenus relativement considérables. Ce fut, croyons-nous, sous le supériorat de Catherine Maurel que cette union fut préparée et consommée. Un pareil acte suffit pour faire son éloge : il suppose beaucoup d'habileté ou un grand mérite ; il fallait, pour réussir, établir de bonnes relations avec la supérieure des Angustrines et déterminer l'autorité diocésaine à se prononcer en faveur de Valsauve, préférablement à toute autre communauté religieuse : Catherine eut la gloire d'arriver à ce résultat.
La vigilance de son attention ne négligea pas d'autres points moins importants. Elle fit reconnaître aux emphytéotes du monastère, les biens qu'ils tenaient de Notre-Dame-de-Valsauve, constater, par ces actes, les ressources du couvent et renouveler ses titres de propriété. Le notaire Laurent Bellegarde fut chargé de cette opération. Dans le cours de l’année 1489, il reçut les reconnaissances des habitants de Saint-Marcel-de- Careiret, Verfeuil et autres paroisses.
Le 12 juin de cette année (1489), nous trouvons Catherine Maurel, à Saint-Marcel-de-Careiret, accomplissant les formalités ordinairement usitées dans ce genre de contrats. Elle y apportait la solennité et les soins dus à un acte, tout à la fois de religion, puisque le serment y intervenait, et d'intérêt, puisqu'on y réglait les droits et les devoirs des deux parties contractantes. C'est dans le presbytère de Saint-Marcel que les reconnaissances sont faites; elles ont pour témoins un prêtre de la paroisse, Aymar Dégan et un membre de la famille de la prieure, Pons Maurel.
Catherine préside. Quand l’emphytéote ou le feudataire a prêté serment de fidélité et promis d'acquitter loyalement ses obligations, l'abbesse l’investit ou renouvelle l’investiture, s'engage à respecter et à faire respecter les droits de l'investi et jure, selon la coutume des religieuses, en portant sa main sur sa poitrine.
Il parait que le monastère de Valsauve ne fut gratifié du titre d'abbaye que depuis l'époque de sa translation à Bagnols. Son installation dans cette ville ne fit pas perdre aux religieuses le nom qu'elles portaient en y arrivant ; elles furent toujours appelées les Bernardines de Valsauve. Cette abbaye devint plus tard une abbaye royale ; ses abbesses étaient nommées par le roi de France, et les religieuses de cette communauté sortaient presque toutes des principales familles de la contrée.
L'installation de ces religieuses à Bagnols ne leur fit pas oublier leur demeure de Valsauve. Elles y retournèrent, du moins quelques-unes, et continuèrent, dans cette solitude, les exercices de la vie monacale.
La Réforme protestante les trouva à leur poste et les punit de leur fidélité à des engagements sacrés, contractés volontairement aux pieds de l'autel. Les hérétiques s'emparèrent du couvent, massacrèrent les religieuses qu'ils rencontrèrent, pillèrent la maison, jetèrent au feu les archives et ne se retirèrent qu'après avoir incendié l'édifice lui-même ; c'était en 1522.
Les quelques religieuses échappées du massacre se réfugièrent à Bagnols, auprès de leurs compagnes qui s'y trouvaient déjà ; et depuis cette époque, la communauté entière ne cessa de résider dans cette ville, jusqu'au jour où tous les couvents furent fermés par la révolution, en 1790.
(Johaona de Montedracone). Années 1513 à 1524.
Les papiers conservés à Topian mentionnent Jeanne de Montdragon, recevant, en 1513, des reconnaissances féodales, à titre de supérieure du couvent de Notre-Dame-de-Valsauve. Les actes furent dressés par le ministère de Jean Abric, notaire à Bagnols.
Je n'ai pu vérifier l’exactitude de ce fait ; il n'a rien que de très probable, vu l’espace de temps considérable qui se trouve entre le supériorat de Catherine Maurel, dont il a été question à l'article précédent, et celui d'Anne de Montdragon, dont nous allons bientôt parler. Cet intervalle renferme une période de quarante ans, et permet de placer, sans peine, entre ces deux abbesses, une abbesse intermédiaire qui a pu s'appeler Jeanne de Montdragon.
Ce fut, sans doute, sous l'administration de cette prieure, que les protestants exercèrent, sur Valsauve, les actes de barbare et sanglante fureur accomplis en l'année 1522. La supérieure eut la douleur de voir les bâtiments du monastère incendiés et la plupart des religieuses établies dans cette demeure solitaire massacrées sans pitié. Qui sait si elle ne se trouvait pas en ce moment, à Valsauve, et ne fut pas du nombre de celles qui échappèrent, en se cachant ou par la fuite aux coups de leurs bourreaux. Elle eut, du moins, à pleurer la mort de celles qui périrent, à partager les émotions de celles qui survécurent et à réparer les ravages matériels causés par ces brigands.
Nous trouvons, à la tête du monastère de Valsauve, une nouvelle prieure, deux ans plus tard. Il n'y aurait rien d'étonnant que les émotions produites par les événements sinistres accomplis à Valsauve, eussent hâté la fin des jours de la supérieure qui en fut le témoin.
(Anna de Montedracone.) Années 1524 à 1537.
On ne peut avoir aucun doute sur l'existence de l’abbesse Anne de Montdragon. Non seulement on sait la date de sa prise de possession du pouvoir abbatial, mais on connaît aussi sa famille et quelques faits relatifs à son supériorat.
Anne de Montdragon reçut ses bulles d'institution de Clément VII, la huitième année du pontificat de ce pape. Elle entra en possession de sa charge le 20 octobre de l’année 1524.
Elle appartenait à l'illustre famille des Montdragon, avantageusement connue dans la Provence et le Comtat-Venaissin, où sa puissance était grande et ses exploits célèbres.
Les ravages opérés à Valsauve par les protestants durant l'année 1522, entraînèrent le monastère dans des dépenses considérables et inévitables. Il fallut relever, parmi les bâtiments incendiés, ceux dont l'usage était indispensable. Les revenus courants du monastère ne purent suffire pour faire face à tous les frais de réparation. C'est, sans nul doute, pour ce motif qu'en l'année 1526, noble dame Anne de Montdragon, abbesse du couvent de Notre-Dame-de-Valsauve, vend des biens de son monastère à noble Jean d'Artifel, seigneur du Jonquier (Le Jonquier était un fief situé sur le territoire de la commune de Saint-Etienne-des-Sorts, dans le canton de Bagnols (Gard). On y voit encore son modeste château qui sert de maison de ferme.), mais habitant de Bagnols. Le notaire Pierre Ruphi dressa l'acte de vente.
Le besoin d'argent pour faire honneur à ses affaires comme aussi l'esprit d'ordre, pour reconnaître, avec exactitude, la situation de fortune du couvent, portèrent Anne à se rendre compte des ressources du monastère et à procurer la rentrée de ses droits. Dans ce but, elle confia au notaire Vincent le soin de convoquer les tenanciers des propriétés du couvent, d'exiger le paiement des rentes échues, de découvrir et poursuivre les usurpateurs de ses biens, et de renouveler le livre des reconnaissances dues à la communauté. Ce travail de recensement et de rentrée s'accomplissait en 1533. La prieure dut trouver une sensible diminution dans l'ensemble des revenus, comparé à ce qu'il était vingt ans plus tôt. Un fait, arrivé sous le priorat d'Anne de Montdragon et relatif au couvent de Valsauve, sert de base à notre appréciation.
En l'année 1468, la prieure Jeanne Maurel avait cédé à Etienne Soulier, moyennant une rente annuelle déterminée, une campagne composée des mas de Molière et de Barbassane, avec diverses terres, le tout situé dans la paroisse Saint-Paul-deTopian. Pendant plusieurs années, les droits furent exactement acquittés ; mais plus tard, lorsque les troubles religieux eurent éclaté dans notre région, les héritiers du cessionnaire de ces propriétés, demandèrent une diminution assez notable dans les charges ; elle leur fut accordée. Mais la misère, au lieu de cesser, augmenta tellement dans les campagnes, avec les troubles qui persistaient, que, le 13 mars 1532, les nommés Du Suel et Soulier, ne pouvant plus payer les charges, même réduites, qui pesaient sur les propriétés inféodées autrefois à leur famille, rendirent ces propriétés au monastère.
Il est à croire que les autres propriétés du couvent n'avaient pas augmenté de valeur; leurs revenus avaient dû, sous l’influence des mêmes causes, suivre la même marche décroissante.
Les habitants de Goudargues, avec leur prieur en tête, donnaient à l'abbesse de Valsauve des occupations moins agréables. Ils lui disputaient la possession de plusieurs propriétés et divers droits sur Topian. L'abbesse se défendit ; le procès fut porté devant le sénéchal de Nîmes, qui lui donna gain de cause et termina le différend par une sentence prononcée dans le cours de l’année 1534.
Anne de Montdragon eut d'autres affaires à traiter dans l'intérêt de son couvent. Elle se déchargea de plusieurs d'entre elles sur un mandataire de confiance.
Ses sœurs Gabrielle de Forchade, Alix de Saint-Ferréol, Louise de La Tour, Jeanne de Port, Marguerite de Caritat, Marguerite d'Albert, Gabrielle Petit et Jeanne de Lirac qu'elle consulta, furent de son avis. Toutes les huit, avec leur supérieure, donnèrent, en 1535, à M. de Laudun, seigneur de Colombiers, procuration reçue par le notaire bagnolais, François Vincent.
Vers la même époque les habitants de Verfeuil voulurent ajouter une chapelle à l’église paroissiale de leur village. Etait-ce pour agrandir ce lieu de prière et lui donner plus d'étendue pour recevoir les fidèles ? Ou bien, voulaient-ils accomplir un acte de piété en reconnaissance d'un péril évité ou d'un bienfait obtenu ?
Nous l'ignorons ... Mais les dimensions exiguës de cette chapelle, qui servit plus tard à l’abbesse elle-même quand elle se rendait à l'église de Verfeuil, ne permettent pas d'accepter d'une manière exclusive, l'hypothèse d'un agrandissement de l'édifice. En effet cette église se trouvait dans la campagne. Elle a été démolie au XIX siècle, pour employer ses matériaux à la construction d'une église qu'on élevait dans le village même. On n'a laissé subsister de l’ancienne que l'abside du chœur.
Il serait plus exact d'attribuer le projet des habitants de Verfeuil à des sentiments de pieuse reconnaissance.
Les motifs d'un pareil acte de reconnaissance ne manquaient pas aux habitants de Verfeuil. Les révolutionnaires du seizième siècle, qui ne furent autres que les protestants, procédaient dans leur conduite, comme agiront, jusqu'à la fin des siècles, les révolutionnaires de tous les temps et de tous les pays. Ils proclamaient d'abord leur doctrine, par la parole et les écrits ; ensuite, ils la traduisaient en actes ; et pour la mettre en pratique, ils ne craignirent pas d'employer, plus d'une fois, le fer et le feu.
Leurs docteurs avaient crié contre les couvents ; les disciples les détruisirent. A Valsauve, ils massacrèrent les religieuses et brûlèrent la maison avec tout ce qu'elle contenait. Cette fureur dut faire craindre à Verfeuil, qui est tout près de Valsauve et dont la population était restée fidèle à sa foi, le sort subi par le monastère. L'érection d'une chapelle élevée, dans cette circonstance, par les habitants du village, annoncerait qu'ils furent préservés des malheurs qui les avaient menacés.
Mais leur église paroissiale dépendait de l'abbaye de Notre-Dame-de-Valsauve ; l'on ne pouvait y toucher sans l'autorisation de la supérieure. Une supplique lui fut présentée. Anne de Montdragon s'empressa de se rendre à une si louable demande. Jean Michel, prêtre de Verfeuil, reçut, pour les habitants de ce village, la permission de construire, du côté du marin, une chapelle contiguë à l'église paroissiale. Le consentement fut donné, par acte passé devant notaire, dans l'année 1532.
Aux ruines matérielles produites par les protestants, aux scènes de carnage, qui forment une douloureuse mais brillante page, dans les annales de cette communauté, succèdent, peu d'années après, les ruines morales les plus lamentables.
La Réforme avait fait pénétrer ses doctrines délétères, et surtout sa morale libre, dans cet asile de la piété ; elle remplaça les pratiques de la vertu par les scandales de la débauche. Le couvent perd alors, tout à la fois, les biens de la fortune et ceux plus précieux encore de l'honneur ; une partie de ses propriétés lui est ravie et, ce qui est plus déplorable, quelques-unes de ses religieuses s’abandonnent aux désordres du vice.
On raconte même qu'une de ses premières dignitaires, oublieuse de ses obligations les plus sacrées, traîna sa robe dans la boue du crime et devint complice de l'apostasie honteuse de l'évêque Jean de Saint-Gelais : c'était au milieu du XVI°siècle.
La fortune du couvent ne fut pas mieux sauvegardée que son honneur. En 1569, les protestants vendirent une partie des biens de ce monastère et les seigneurs de Lussan et de la Bastide d'Orniols ne se firent pas scrupule de les acheter à vil prix.
(Margarita Auberti vel Alberti.) Années 1537 à 1566 .
Marguerite d'Albert succéda directement, dans le gouvernement du monastère de Valsauve, à l'abbesse Anne de Montdragon, sa tante maternelle. Marguerite était fille de Thibaut d'Albert et de Gabrielle de Montdragon. Son père est désigné sous différents noms ; il posséda la baronnie de Montclus (Montclus est un village du Gard, situé dans le canton de Pont-Saint-Esprit.), la seigneurie de Saint-André-d'Olérargues (Saint -André-d'Olérargues, village du même département, dans le canton de Lussan.), village qu'il semble avoir habité ordinairement et dans l'église duquel il voulut être enseveli. Il était aussi seigneur du Pin (Le Pin, village du canton de Bagnols), de Cabrières (Cabrière, fief limité par les paroisses de la Bastide-d'Engras, Saint-Quentin et Fontarèche.) et plus tard de Montdragon (Montdragon, ville du département de Vaucluse, située près du Rhône et dans l’arrondissement d'Orange.) et de plusieurs autres fiefs qui lui étaient parvenus du chef de Gabrielle de Montdragon, sa seconde femme.
Il fut appelé, suivant les circonstances, du nom de quelqu'un de ces fiefs. Il est dit parfois de Bagnols, parce que sa première femme appartenait à la famille de ce nom. Son prénom de Thibaud se transforme, dans certains actes, en Théobald; son nom de famille s'écrit indistinctement Albert, Alberti, Aubert, nous le trouvons même généralement, dans les archives municipales des communes de Saint-André-d'Olérargues et de Saint-Marcel-de Careiret, que sous la forme d'Aubert.
Il en est de même pour ses enfants. Théobald eut une nombreuse famille ; deux de ses fils se distinguèrent, par leur valeur, dans le service des armes. Le cadet, Edouard de Saint-André, contribua par son courage à la levée du siège d'Alais (Alès), formé par les protestants en 1569, ravitailla cette ville et fut tué, en novembre de la même année, en défendant la ville de Nîmes, que les protestants avaient surprise.
Marguerite d'Albert est souvent appelée Auberte ; quelquefois le nom d'Aubert disparaît et c'est Marguerite de Saint-André. Sa sœur Anne porta, jusque dans le couvent, le nom de ce dernier fief, et fut généralement appelée Mademoiselle de Saint- André (D’après l’auteur Pithon-Curt).
Marguerite d'Albert avait déjà, dès l'année 1535, fait profession de vie religieuse, dans le couvent de Valsauve. A cette date, nous la voyons, avec sa supérieure et sept autres de ses compagnes, donner procuration au damoiseau de Laudun. Deux ans plus tard elle est nommée abbesse du monastère de Notre-Dame- de- Valsauve. Les bulles de sa nomination furent délivrées par le pape Paul III, sous la date du 25 octobre 1537. Marguerite entra en possession de sa nouvelle charge le 9 février de l'année suivante 1538 (Gallia Christiana. T. VI.).
Nous n’avons pas trouvé beaucoup de détails sur son administration à Valsauve : elle dura néanmoins près de trente ans, de 1537 à 1566. Sa vie de supérieure de ce monastère se passa dans les agitations scandaleuses d'une époque troublée.
Les doctrines de la Réforme avaient jeté le désordre dans l'Eglise et dans l'Etat et produit les effets les plus désastreux. Ce n'était, de toute part, dans l’ordre politique et civil, que révolte, insurrection contre l’autorité, meurtres, incendies et dans l’ordre moral et religieux, qu'on prétendait réformer, que défection de la foi, dépravation des mœurs, scandales de débauches. Le mauvais exemple partait de haut : la noblesse et le clergé furent les premiers à la tête du mouvement ; les couvents n'y restèrent pas étrangers.
L'abbesse et plusieurs de ses religieuses suivirent le courant général et participèrent ouvertement aux corruptions du siècle. A défaut de tout autre renseignement, le titre donné à Anne d'Albert, sœur de l’abbesse Marguerite et religieuse, avec elle, à Valsauve, suffirait pour montrer la nature de l'esprit peu religieux qui animait ces personnes. Son nom de religion était mis de côté; on ne lui donnait, pour nom, que le titre seigneurial de sa famille, précédé du qualificatif mondain de : Mademoiselle. Sœur Anne resta dans le cloître, comme dans le monde, mademoiselle de Saint-André .
Il paraît, toutefois, que si l'esprit religieux fut délaissé, les intérêts matériels du monastère ne furent pas abandonnés totalement. Au milieu des égarements de la passion, il resta encore au fond du cœur de l’abbesse quelques bons sentiments. Un bail à ferme des propriétés de Valsauve, passé au nom de l’abbesse Marguerite d'Albert, le 21 octobre 1552, nous renseigne sur ce point.
Les ruines faites à Valsauve dans l’année 1522, un peu réparées d'abord, étaient loin d'être relevées trente ans plus tard. Marguerite ne l’oublia pas.
Le bail qu'elle passa avec Bonnaud et ses associés, de Cavillargues, pour une durée de six ans, stipule que, en outre de la somme fixée pour prix du fermage, et en sus des autres charges énumérées dans l’acte, les fermiers devront concourir aux diverses constructions à faire à Valsauve. Le contrat fut passé dans le village de Saint-Marcel-de-Careiret ; mais ce ne fut pas, cette fois-ci, au presbytère, ni en présence du curé, comme il arrivait sous ses devancières, quand elles traitaient affaire dans cette paroisse : le protestantisme avait chassé le prêtre et fermé les portes de la maison curiale.
Le presbytère était vide et la paroisse n'avait plus de pasteur.
Le monastère de Notre-Dame-des-Plans ne se trouvait pas dans une situation moins triste, au milieu du XVI° siècle. L'abbesse, Gabrielle de Borne, après l’année 1548, avait abandonné sa religion, quitté son costume et pillé son couvent pour aller vivre à Genève, dans l’indépendance de tout devoir.
Le roi Henri II lui avait donné une remplaçante et nommé Louise d'Urre du Pré, dite aussi de Teixier abbesse de ce monastère.
Mais Marguerite d'Albert, qui convoitait ce bénéfice, fit des démarches pour l'obtenir de la curie romaine ; elle réussit : le Pape la pourvut de l'abbaye de Notre-Dame-des-Plans. Louise ne voulut pas céder : de là surgit un procès qui ne se termina qu'en 1566.
Louise se désista, et Marguerite prit possession, la même année, et alla s'installer dans le couvent de Saint-Pierre-du-Puy, uni à celui de Notre-Dame-des-Plans.
Le monastère de Saint-Pierre-du-Puy était situé dans la ville d'Orange. Anne, dite mademoiselle de Saint-André, sœur de l'abbesse Marguerite, vint s'établir avec elle dans celte ville ; elles y vécurent ensemble de longs jours.
Dans l’année 1591 Marguerite se démit, en faveur de sa sœur Anne, de l’abbaye de Notre-Dame-des-Plans et de Saint-Pierre-du-Puy . Elle dut mourir bientôt après. Elle eut soin, jusqu'à sa mort, de prendre dans les actes publics le titre d'abbesse de Bagnols. Les auteurs de Gallia Christiana, dans leur travail sur Notre-Dame-des Plans, ne la désignent que sous le nom de Marguerite de Saint-André, tandis qu'ils l’appellent Marguerite d'Albert quand il s'agit du monastère de Notre-Dame-de-Valsauve.
(Anna vel Suzanna Auberti vel Alberti.) Années 1566 à 1597.
Anne d'Albert était, par les liens du sang et par ceux de la religion, sœur de l’abbesse Marguerite d'Albert, dont il a été question à l’article précédent.
Elle naquit des mêmes parents, Thibaut d'Albert et Gabrielle de Montdragon ; elle vécut dans les mêmes monastères, à Bagnols et à Orange. Elle fut généralement appelée, dans le couvent comme dans le monde, Mademoiselle de Saint-André. Son nom de religion est écrit de différentes manières. Dans les actes relatifs à la communauté de Bagnols, où se passa la première partie de sa vie, on l'appelle Anne; dans ceux qui se rapportent au monastère de Notre-Dame-des-Plans et Saint-Pierre-du-Puy, où s'écoulèrent ses derniers jours, on la nomme Suzanne.
Sa conduite, d'après ce qui a été dit précédemment, fut loin d'être un modèle de vertu et de régularité religieuse. Le monde, avec ses joies et ses plaisirs, eut plus de part à ses affections que l'humilité et les rigueurs du cloître.
Devint-elle réellement abbesse du monastère de Notre-Dame-de-Valsauve? Nous ne saurions l'affirmer ; les documents précis font défaut.
Il existe bien plusieurs actes dans lesquels on lui donne ce titre. Mais il est difficile de le concilier avec la manière de faire de Marguerite, qui, jusqu'à son dernier jour, s'appela, dans les pièces officielles, abbesse de Bagnols. Il pourrait se faire aussi que sœur Anne, agissant au nom du couvent pour remplacer sa sœur, fut considérée comme abbesse et appelée de ce titre.
D'un autre côté, la conduite de Marguerite, se démettant, avant de mourir, de son abbaye de Notre-Dame-des-Plans en faveur de sa sœur, et les bons rapports qui semblent avoir toujours existé entre les deux sœurs, portent à croire que Marguerite, en obtenant l'abbaye de Notre-Dame-des-Plans, dut céder à sa sœur Anne l'abbaye de Notre-Dame-de-Valsauve; et si elle continua d'en porter le titre, c'était plutôt par habitude ou par manie que par droit.
Anne se rendit, avec sa sœur Marguerite, au couvent de Saint-Pierre-du-Puy, en l'année 1566, époque à laquelle Marguerite obtint la paisible possession de cette abbaye. Ce fut probablement à la même époque qu'Anne devint abbesse de Notre-Dame-de-Valsauve. Plus tard, en 1591, elle reçut une nouvelle abbaye; sa sœur Marguerite résigna, en sa faveur, l'abbaye de Notre-Dame-des-Plans et Saint-Pierre-du-Puy. Elle resta six ans à la tête de ce monastère.
Pendant le cours de son administration, en 1569, les propriétés possédées par le couvent de Valsauve, dans la juridiction de Saint-Paul-de-Topian, furent aliénées. Les seigneurs de Lussan et de la Bastide d'Orniols en devinrent les acquéreurs; elles leur furent cédées à vil prix. Dans une transaction passée, plus d'un siècle plus tard, entre l’abbesse de ce monastère et l'abbé du couvent de Goudargues, l'on explique, d'une manière bienveillante pour la supérieure, les motifs qui la déterminèrent à cette vente. Elle y fut forcée, dit cette pièce, par le malheur des temps, à l'époque des guerres civiles pour fait de religion. Ces biens étaient situés dans le centre de l’hérésie ; on les lui disputait avec acharnement et violence ; elle ne pouvait en jouir paisiblement. Dans ces conditions, elle préféra les abandonner, presque pour rien, par un contrat emphytéotique, se réservant de les réclamer utilement en des jours meilleurs.
A côté de ces raisons vraies, données pour expliquer la conduite de la supérieure qui aliénait les biens de son monastère, n'y en aurait-il pas d'autres, aussi vraies, mais moins honorables, que la charité religieuse a couvertes du voile de l'oubli, en rapportant cette aliénation ?
Ne cherchait-elle pas à se créer, par ces ventes, des ressources momentanées, au détriment de l'avenir de son monastère, et n'avait-elle pas voulu favoriser quelque membre de sa famille? Pareils faits ne furent pas rares à cette époque.
Anne d'Albert mourut en 1597.
Des femmes remarquables par leur intelligence, leurs vertus, la haute position sociale de leurs familles, gouvernèrent cette abbaye et la firent fleurir. Jeanne, Esther et Marie d'Audibert, des comtes de Lussan, furent à sa tête plus d'un siècle et réparèrent, par la vigilance, par la sagesse de leur administration et la piété de leurs exemples, les malheurs du siècle précédent. Le couvent recouvra les biens dont on l'avait spolié ; les détenteurs, mis en demeure, se dessaisirent de leurs acquisitions.
De 1601 à 1715 le gouvernement du monastère de Notre-Dame-de-Valsauve passa aux mains des d’Audibert, qui le gardèrent plus d'un siècle. Leur domination sur Valsauve produisit les plus heureux résultats.
Pendant deux siècles, le XVI° et le XVII° l'abbaye de Notre-Dame-de-Valsauve resta comme l'apanage de la même famille, et devint entre ses mains un fief religieux dont ses filles furent pourvues. Trois noms différents apparaissent sur la liste des abbesses de Notre-Dame-de-Valsauve de l’année 1513 à l’année 1715 : Montdragon, Albert ou Aubert et Audibert ; mais ces trois noms ne forment qu'une seule famille, par suite des alliances qui les unirent et amenèrent successivement leur fusion à l’époque qui nous occupe. L'abbesse Marguerite d'Albert, qui paraît en 1537 et reste à la tête du couvent jusqu'à la fin de ce siècle, était la nièce des abbesses Jeanne et Anne de Montdragon auxquelles elle succéda et qui dirigeaient déjà le monastère, en 1513 ; d'un autre côté, Marguerite fut la tante de Jeanne d'Audibert, nommée abbesse en 1601. Et Jeanne d' Audibert fut remplacée dans sa dignité d'abbesse de Notre Dame-de-Valsauve par ses sœurs et ses nièces, qui gardèrent le pouvoir jusqu'en 1715.
(Johanna Audiberti de Lussano.) Années 1601 à 1605.
La famille des d’Audibert, ancienne dans le diocèse d'Uzès, prenait au début du dix-septième siècle, une importance chaque jour plus grande. Elle possédait plusieurs fiefs considérables, entre autres les seigneuries de Lussan et de Saint-Marcel-de-Careiret.
Elle venait de s'allier, en 1588, à la puissante famille des Albert ou Aubert de Saint-André-de-Montdragon et devait finir plus tard, au dix-huitième siècle, par son union avec les familles ducales des Fitz-James et des Drummond de Melfort.
Voici la filiation des trois familles Montdragon, Albert ou Aubert et Audibert, dont les filles portèrent, pendant plus de deux siècles, le titre d’abbesse de Notre-Dame-de-Valsauve.
Thibaut Aubert ou Albert, qui testa en janvier 1526, avait épousé en secondes noces, Gabrielle de Montdragon, sœur d'Anne de Montdragon, abbesse de Valsauve. De ce mariage naquirent, entre autres enfants :
1° Marguerite, qui devint abbesse en 1537 ;
2° Anne, qui fut aussi religieuse de Valsauve et succéda à sa sœur dans le gouvernement du monastère de Saint-Pierre-du-Puy, à Orange;
3° Edouard, marié, le 29 juin 1564, à Marguerite de Bourdic, d'où : Marguerite d'Albert, mariée le 10 janvier 1588, à Charles d’Audibert, seigneur de Lussan. De ce mariage naquirent, entre autres enfants, Jeanne et Esther, qui devinrent abbesses de Valsauve, et Jacques, dont la petite fille, Marguerite Gabrielle, se maria successivement aux ducs de Fitz-James et de Drummond, vers le commencement du XVIII siècle.
Cette haute situation, que des unions illustres lui donnèrent, elle put la conserver, soit dans l'Etat, soit dans l'Eglise, par l’intelligence et le mérite de ses membres. Jacques d'Audibert, qui vivait au commencement XVII siècle, et qui fut le premier de sa famille à porter le titre de comte, se distingua par sa valeur guerrière et obtint l’érection en comté de sa terre de Lussan. Trois de ses sœurs, entrées dans la vie religieuse, arrivèrent à la dignité d'abbesses. La première que nous trouvons, portant ce titre, s'appelait Jeanne ; elle dirigea d'abord le monastère de Notre-Dame-de-Valsauve. Deux de ses sœurs, Françoise et Esther, auxquelles sera consacré l'article suivant, l’accompagnèrent dans le même couvent et y moururent.
Jeanne d'Audibert devait être fort jeune quand elle fut élue abbesse de Bagnols ou de Notre-Dame-de-Valsauve. Elle prit possession, le 14 mars 1601, en vertu d'un diplôme donné par le pape Clément VIII, la neuvième année de son pontificat. Elle ne resta que quatre ans à la tête de ce monastère. Son jeune âge et le peu de temps passé dans la communauté, ne lui permirent pas de rendre de grands services. Aussi, l'honneur du bien produit dans le couvent de Valsauve par les d'Audibert ne peut lui revenir qu'en petite partie et d'une manière indirecte. Tout au plus contribua-t-elle à ce bien par des conseils, qu'elle ne devait pas refuser à ses sœurs, après qu'elle les eut quittées pour aller gouverner un autre monastère. C'est par ses sœurs et ses nièces qui dirigèrent le couvent de Valsauve à Bagnols, sans aucune interruption, depuis l'année 1605 jusqu'à l’année 1715, que s'opérèrent, dans ce monastère, les plus heureuses transformations.
Son départ et sa mort.
Jeanne fut appelée par ses supérieurs à la direction d'une autre communauté. Le 5 mai de l’année 1605, l’abbé de Cîteaux la nomma abbesse de Notre-Dame-des-Plans. Ce ne fut pas sans de profonds regrets qu'elle dut se séparer de ses sœurs bien-aimées et de ses chères compagnes, et quitter la maison de Bagnols où s'étaient passés les jours de son enfance. A son âge, on a le cœur tendre et tout changement de situation impressionne : mais le devoir parlait ; elle obéit.
Jeanne prit possession de sa nouvelle abbaye le 4 juin de la même année 1605, et la gouverna jusqu'à l'époque de sa mort, arrivée en 1643. Une de ses sœurs Esther d'Audibert, l'avait remplacée à Bagnols ; une autre de ses sœurs, Françoise d'Audibert, aussi religieuse de Valsauve, lui succéda dans la charge d'abbesse de Notre-Dame-des-Plans.
(Esther Audiberti de Lussano.) Années 1605 à 1672.
Esther d'Audibert de Lussan, abbesse du monastère de Notre-Dame-de-Valsauve, était la sœur de Jeanne d'Audibert, abbesse du même couvent; elle la remplaça en 1605, lorsque celle-ci fut appelée à la direction de l’abbaye de Notre-Dame-des Plans. Ses bulles d'institution lui furent données par le pape Clément VIII, la dernière année de son pontificat. L'administration d'Esther fut longue; elle dura 67 ans et produisit les résultats les plus heureux pour le bien de la communauté. Esther renouvela complètement le monastère, à l'intérieur et à l'extérieur.
Le ciel l'avait douée d'un esprit élevé, actif et droit ; d'un cœur délicat et généreux; d'un caractère tout à la fois bon et ferme et d'une volonté énergique et persévérante. Esther savait concevoir un projet, trouver les moyens de l'accomplir et attendre le moment propice à sa réalisation. Sa piété reflétait cet ensemble de qualités de l'esprit et du cœur : elle était tendre, sincère, profonde, exempte des alternatives d'une ferveur désordonnée suivie d'une négligence ou d'un découragement non moins déplorables. Elle montra pour ses compagnes la tendresse et le dévouement d'une mère. Les pauvres la trouvèrent toujours charitable ; ses rapports avec les diverses classes de la société ne cessèrent jamais d'être empreints de ce caractère de bienveillance et de dignité qu'on aime à rencontrer chez les supérieurs, et qui donne, à leur autorité, un charme et une puissance incontestables, irrésistibles.
La Providence, qui avait doté Esther de si riches dons, lui accorda des jours nombreux et la fit naître et vivre à une époque favorable à l’épanouissement de ses qualités.
Quand cette abbesse arriva an pouvoir, la France était calme. Henri IV régnait depuis quelques années, et sa main paternelle s'efforçait de donner à son peuple les bienfaits de la paix et de réparer les désordres nombreux produits par les passions politiques et religieuses, sous les règnes précédents.
Cette tranquillité extérieure, qui enlevait toute préoccupation pour l'avenir de la France, permit à Esther de se former à l’exercice délicat du commandement, de reconnaître les besoins réels de sa communauté et de se livrer toute entière à la direction et au développement du monastère. Mais la mort du prince Béarnais, arrivée en 1610, arrêta, dans le royaume, le mouvement salutaire et réparateur. Les partis qui s'étaient disputé le terrain social et religieux, se demandèrent d'abord s'il ne faudrait pas reprendre les armes.
Louis XIII dut soumettre, par la force, une partie de son royaume. La petite ville de Bagnols, sous l'impulsion de Montmorency, prit fait et cause pour Gaston d'Orléans (troisième fils d'Henri IV) dans sa révolte contre le roi; les seigneurs des châteaux forts des environs de cette ville suivirent cet exemple; l'évêque d'Uzès , Fayn de Péraut, s'était prononcé dans le même sens. Le triomphe du roi amena le châtiment des rebelles : Montmorency fut décapité; l'évêque d'Uzès, envoyé en exil ; les places fortes, démantelées.
C'est à cette époque que le château de Sabran, situé sur le haut d'une montagne non loin de Bagnols, fut démoli et presque entièrement abattu à coups de canons. De sa grande tour, on ne laissa subsister qu'un pan de mur, afin que l'aspect de ces restes mutilés apprenne aux populations, seigneuriales ou plébéiennes, témoins de ces ruines, comment s'exerçait la justice du roi.
Cette deuxième période de la vie religieuse d'Esther — de l'année 1610 à l'année 1632 — ne lui fut pas moins avantageuse, avec ses troubles et ses agitations, que la première avec son calme et sa tranquillité. Esther avait pris l'habitude du commandement, saisi la manière de diriger ses sœurs avec succès, et reconnu les améliorations à introduire dans le couvent. Quand les temps furent devenus mauvais, elle profita de son expérience. Elle exerça le pouvoir avec la douce fermeté nécessaire dans les situations critiques ; compta sur l'avenir, qui est entre les mains de Dieu, inspira à ses sœurs la confiance, leur communiqua l'énergie qui l'animait elle-même et n'abandonna aucun de ses projets.
Elle vit passer le flot de la révolte populaire, qui s'agitait autour de son monastère dans la cité bagnolaise, sinon avec assurance, du moins avec l'espoir que tout rentrerait bientôt dans l’ordre et que son couvent resterait à l'abri de tout danger. Elle ne se trompait pas. Des jours meilleurs arrivèrent, la révolte fut vaincue, le calme se rétablit.
Esther, dont l'expérience s'était encore développée et l'intelligence agrandie au milieu des temps difficiles, profita habilement de la situation nouvelle. On avait engagé, à une époque mauvaise, les propriétés du monastère situées dans la paroisse Saint-Paul de-Topian. Elle demanda aux possesseurs un désistement qu'on ne pouvait lui refuser. Sa requête fut présentée au tribunal du Sénéchal de Nîmes. Les possesseurs reconnurent les droits du couvent et, par acte du 14 mars 1637, ils se dépouillèrent volontairement des fonds ruraux qu'ils occupaient depuis l'année 1569.
Esther continua à réclamer partout où son couvent avait des droits à faire valoir; ce fut toujours avec succès.
Une des préoccupations principales de son esprit, depuis qu'elle gouvernait, fut de refaire les bâtiments de son monastère, qui tombait en ruines, dans plusieurs de ses, parties, et manquait d'harmonie et d'espace dans son ensemble. Elle voulut le rebâtir dans des proportions plus larges et sur un plan mieux ordonné et plus beau. Elle se procura peu à peu les ressources nécessaires; et quand le moment propice à l’exécution de ses projets lui parut arrivé, elle mit la main à l'œuvre.
Françoise d'Audibert, sa sœur, religieuse dans le même couvent, secondait puissamment ses efforts et la soutenait dans toutes ses entreprises; mais en 1643 elles durent se séparer. Françoise fut appelée, à cette époque, à l’abbaye de Notre-Dame-des-Plans. L'abbesse de ce monastère, Jeanne d'Audibert, leur sœur, venait de mourir ; Françoise fut désignée pour la remplacer. Elle quitta Bagnols au milieu des larmes et des regrets unanimes de ses compagnes et surtout de l'abbesse, sa sœur. Ce départ produisit dans la communauté et dans l’existence d'Esther un vide considérable.
Esther, sans être encore bien âgée, gouvernait le monastère depuis quarante ans. Mais des occupations nombreuses, pénibles, de direction à l’intérieur, de surveillance à l’extérieur, renouvelées sans cesse, presque pendant un demi-siècle, avaient fini par user sa santé et diminuer ses forces. Elle ne voulut pas que le couvent souffrit de la faiblesse de sa supérieure. Elle prit une coadjutrice pour partager avec elle la responsabilité du pouvoir et le fardeau du travail. Son choix porta sur l’abbesse de Notre-Dame-des-Plans, Françoise d'Audibert, sa sœur; la communauté entière applaudit à cette décision.
Françoise abandonna le titre d'abbesse, après l'avoir porté pendant deux ans, pour retourner dans le couvent de Valsauve, qui avait reçu ses premiers vœux, et qu'elle avait quitté avec peine. Elle se mit au service d'Esther, en 1645, avec toute l’ardeur et le dévouement de son cœur de sœur et de religieuse. Elle dirigea, pendant vingt-six ans le monastère de Valsauve, sous l'autorité d'Esther, à la satisfaction générale de la communauté; elle mourut au mois d'août de l'année 1671, vivement regrettée de l'abbesse et de ses compagnes.
Cette mort fut un coup terrible pour le cœur d'Esther. Dans sa douleur, elle ne se sentit plus la force de rester encore à la tête du couvent. Son grand âge et ses nombreuses infirmités ne lui permettaient d'ailleurs plus de se livrer à aucun travail. Elle résigna ses fonctions et son titre en faveur de sa nièce, Marie d'Audibert de Lussan. Le pape et le roi approuvèrent cette résignation. Esther avait gouverné le monastère de Notre-Dame-de-Valsauve, avec le titre d'abbesse, pendant soixante-sept ans !
Sur la rive gauche du Rhône, au milieu d'une vaste et fertile plaine, entre les villes de Bollène, Montdragon et Pont-Saint-Esprit, mais dans le diocèse de Saint-Paul-Trois-Châteaux, s'élevait une ancienne abbaye appelée Notre-Dame-des-Plans dont nous avons déjà parlé lorsqu’il a été question de Marguerite d’Albert.
Elle fut fondée pour des religieuses bénédictines ; sa fondation remontait vers l'année 1200. Dans le cours de son existence, à travers les siècles, cette maison subit des vicissitudes diverses. Le Protestantisme lui devint funeste, comme il le fut à tous les couvents qui lui ouvrirent leurs portes.
Les religieuses, imbues des doctrines nouvelles, passèrent rapidement de l'indépendance des idées à l'indépendance de la conduite. Plusieurs d'entre elles, leur supérieure en tête, secouèrent tout joug de pudeur, de vertu, de devoir ; elles jetèrent leur froc aux orties, pillèrent la maison et prirent la fuite vers Genève, avec les complices de leurs débauches.
Elles ne laissèrent, à la demeure qui les avait abritées et nourries, que la misère et la honte de leur conduite. Les bandes protestantes complétèrent sa ruine par les ravages du feu, et ces incendies dévorèrent tout l’édifice. Ces faits se passaient au XVI° siècle (L’abbé Fer : Notice sur Notre-Dame-des-Plans, p. 40, et Gallia Christiana, T. I.).
Les supérieurs de Cîteaux cherchèrent à relever ces ruines ; leurs efforts n'étaient pas encore couronnés de succès un siècle plus tard. Ils résolurent alors de réunir cette abbaye, dépourvue de toute ressource, à une maison qui possédât des revenus suffisants pour faire vivre les deux communautés. Leurs regards se tournèrent vers Notre-Dame-de-Valsauve.
Ce choix leur fut inspiré probablement par l’abbesse de Notre-Dame-des-Plans, Jeanne d'Audibert.
Le couvent de Bagnols lui était très bien connu : elle avait habité ce monastère, l'avait dirigé comme abbesse pendant près de cinq ans et n'en était sortie que pour gouverner celui de Notre-Dame-des-Plans. Elle ne doutait pas non plus des bonnes dispositions de cette communauté ; plusieurs de ses sœurs et ses nièces s’y trouvaient religieuses, et l'abbesse Esther d'Audibert était sa propre sœur. En 1637, le recteur du collège de Sénanque, de l'ordre de Cîteaux, à Avignon, donna des lettres pour opérer l'union des abbayes de Notre-Dame-des-Plans et de Notre- Dame-de-Valsauve.
Mais le prince d'Orange (Guillaume II d'Orange-Nassau), sur les terres duquel se trouvait l'abbaye de Notre-Dame-des-Plans, s'opposa à la réalisation de ce projet et refusa d'y donner son consentement. Les lettres d'union du recteur restèrent ainsi sans effet.
Années 1672 à 1715.
Marie d'Audibert de Lussan était l'aînée de cinq sœurs religieuses dans le couvent de Notre-Dame-de-Valsauve, à Bagnols. Elle fut nommée abbesse de ce couvent à la suite de la résignation et sur le désir d'Esther, sa tante, dont il a été question à l’article précédent. Elle prit possession de son abbaye le 28 avril 1672.
Ce ne fut pas sans un sentiment de crainte, mêlé d'un profond respect, qu'elle reçut la direction du monastère et de la vénérable abbesse sa tante. Marie était digne de l'honneur qu'on lui faisait. Son heureux caractère, sa piété, son intelligence, sa modestie, la firent accepter sans peine et lui acquirent l'estime et les sympathies de tous. Elle continua l'œuvre de restauration et de renouvellement du monastère entreprise par les abbesses ses tantes. C'est elle qui fournit ou procura, avec un empressement et une intelligence dignes d'éloges, aux auteurs de la Gallia Christiana, les documents et les matériaux qui ont servi à la composition de leur travail, sur le couvent de Valsauve.
En 1681, le 5 octobre, l'abbesse Marie d'Audibert passait, avec son frère, Charles d'Audibert de Lussan, prieur, seigneur de Goudargues, une transaction au sujet de leurs propriétés et de leurs droits respectifs sur Topian. L'acte fut passé au château de Lussan qui appartenait à leur famille, et fut signé par les parties contractantes.
Le 24 septembre 1685, l'abbesse Marie de Lussan et les autres religieuses du monastère de Valsauve prirent une délibération pour vendre les directes qu'elles possédaient à Verfeuil (Acte reçu, Duplan, notaire.)
Marie eut la douleur de voir le sang répandu sur les terres de son monastère par le fanatisme protestant. Nous allons raconter l'assassinat des ouvriers qui moissonnaient à Valsauve, eu 1703 ci-après.
Marie voulut donner aux restes mortels de ces victimes un témoignage éclatant et mérité de sympathie et d'honneur. Elle les fit exhumer du lieu où d'abord on les avait déposés et les ensevelit dans l’église même du couvent de Valsauve : pareille sépulture n'était accordée qu'aux religieuses ou à des personnages de distinction.
Marie d'Audibert de Lussan fut abbesse du monastère de Notre-Dame-de Valsauve pendant plus de quarante ans. Son supériorat s'étend de l'année 1672 à l’année 1715.
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